Naître

Naître reviendrait-il à N’être ?
Pour mon anniversaire, Morgane me propose une séance de Janzu, dans l’océan, au Pays Basque.
L’expérience m’a appris à faire confiance à cette femme merveilleuse avec qui j’ai la chance de vivre depuis plus de vingt ans et qui nous a permis de construire une famille lumineuse.
Je laisse infuser. Le lendemain : oui. Mais comme nous sommes dans une période de célébration du couple, je vais un pas plus loin. Elle s’y attendait et c’est ce qui la freinait un peu dans sa demande. Elle avait suivi sur Instagram un gars qui pratique le Janzu. Pierre Tabardel, sur Saint Jean de Luz. Or, nous y sommes dans la période de mon anniversaire.
Je propose que nous fassions cette séance ensemble. Je ne sais pas ce qu’est le Janzu mais comme Morgane me l’explique, c’est un « soin » qui se passe dans l’eau. Comme une sorte de renaissance. Et me voilà parti avec l’idée saugrenue d’y ajouter une dimension : notre amour.
Finalement, Pierre nous répond qu’il a peut-être trouvé une solution : faire appel à un ami.
Et notre pratiquant va s’allier avec Emmanuel Pastor. Emmanuel pratique en piscine et fait du Watsu. Moi, tout me va, je n’y connais rien. Les deux compères vont répéter et coordonnées leurs mouvements au préalable pour voir si ça marche. Super pro. Rendez-vous pris la veille de notre départ à 9h30, plage de Mayarco. Nous voilà partis.
Sur place, on attend Pierre qui arrive avec la douceur et la lumière combinés. Il rayonne.
Plus loin, sur la plage, Emmanuel est déjà là, qui fait quelques exercices de Tai Chi.
Présentations, tout roule. Emmanuel a des yeux de cathédrale. Lorsqu’on le regarde, c’est l’immensité qui nous observe. C’est un gaillard tranquille mais je sais qu’au fond de lui, il y a une force qui a soulevé quelques obstacles de vie importants.
Pierre propose une courte méditation. Morgane et moi sommes en combi, face à l’océan, dans une crique encore sauvage où quelques individus se baladent ou font des exercices. C’est une sorte de petite Californie qui fleure bon le Love and Peace de ma jeunesse.
Main dans la main, Morgane et moi pensons aux moments forts de notre relation. Après la séance, nous saurons qu’à ce moment là, nous pensions tous les deux à la même chose. La naissance de nos filles.
Ainsi, lorsque Pierre, qui guidait ce moment, nous demande de nous rappeler les odeurs, les sons et peut-être le vent ou le paysage, nous sourions car la lumière des néons, le ventilateur et les effluves d’alcool étaient nos seuls repères.
Puis, nous avons été emmenés dans l’océan.
Intuitif, j’avais proposé à Morgane de rester avec Pierre qui est de sa génération et qui l’avait séduite sur Instagram et j’ai pris Emmanuel. Bien fait. Enfin…

 

Je me suis laissé emporté par mon tendre baroudeur et en quelques minutes, je devenais un simple tissu bercé par le vent. Sauf que j’étais manipulé par les bras d’Emmanuel et le courant de l’océan qui me portait. Les yeux fermés, tout mon corps libérait ses tensions. Ce n’était qu’un début. Dans leur chorégraphie répétées, les deux praticiens avaient dessinés des mouvements qui permettaient à Morgane et moi-même de nous rejoindre. Je sentais sa main que je serrais doucement et je pris alors conscience de l’importance que cette petite femme avait dans ma vie. Je le savais déjà, bien sûr, mais la dimension de ces petits moments dans l’eau ont déclenché une perspective bien plus grande sur l’échelle des ressentis. OUI. Oui je t’ai dit oui, oui je continue. Ensuite, séparés par nos promeneurs aquatiques, je replongeais dans les tourbillons et les arabesques qu’Emmanuel traçait avec mon corps en chiffon. Encore. Et Encore. Immergé, rejeté, revenu, parti, ici, ailleurs, hier, demain, et moi qui disait « merci merci je t’aime merci la vie merci ». Puis petit à petit, les étreintes avec l’eau salée ont généré un léger malaise. Trop. Trop fort. Intense. J’ai résisté. En souriant. Et j’ai fini par ouvrir les yeux pour exprimer à Emmanuel cette nausée qui germait en moi. Niveau plexus.
Alors, en harmonie avec Pierre qui faisait flotter Morgane, ils nous ont remontés et traînés sur la plage. J’avais échoué. Toute ma vie j’ai eu l’impression d’échouer. Mais là, c’était vrai. Morgane, elle, posée un peu plus loin, semblait si douce, si apaisée, que je ne pouvais que l’aimer encore plus fort.
Lorsqu’Emmanuel m’a lâché sur le sable, j’ai gueulé. Une fois. Puis deux. Un cri. Pas pu m’empêcher. J’ai hurlé mes tripes, mes douleurs, mes interdits, mes rejets, les abandons, les faux-semblants, mes conneries, mes regrets, les obstacles et les souffrances vécues dans la joie. Car j’ai toujours préféré nourrir la joie que de donner raisons aux épreuves. Je tremblais. Comme un chien en fin de vie. Je me suis retourné et j’ai vu cette sirène qu’était ma femme à quelques mètres de moi. Alors j’ai rampé jusqu’à elle. Je me suis jeté sur son corps qui a donné la vie à mon éternité et j’ai pleuré. Vidé mes tripes en larmes. Moi qui ne pleure jamais. Jamais car mon frère me l’avait interdit. Là, j’ai pleuré à sec. Comme on crache des cailloux dans une quinte de désespoir. Et elle a posé sa main sur mon moi en murmurant : mais mon amour…. Qu’est-ce qui t’arrive ?
Je suis né. Avec toi. Enfin. Je suis né de n’être plus l’image.
Merci.
Morgane était plus belle que jamais. Plus tendre, plus forte.
On a rejoint Pierre et Emmanuel et j’ai causé. Pour remplir l’espace et tenter de cacher mon malaise et ma gêne.
Emmanuel s’est levé et m’a pris dans ses bras. Façon douce de dire ferme-là.
D’accord.
Voilà.
Rien à d’autre à ajouter sinon merci.
A Morgane. A Pierre et Emmanuel. Et à l’océan dans lequel j’ai pu laisser une part de moi. Un moi pesant et inutile. Les vagues de l’Atlantique ont dû le refiler aux nuages et j’espère que la pluie qui en découlera donnera un peu de vie à quelques fleurs ici-bas.
Rien n’est inutile si on trouve le chemin pour l’équilibre.
Et merci à vous si vous êtes arrivés à me lire et qui sait... Si un jour vous vous trouvez au Pays Basque... Pierre Tabardel. Emmanuel Pastor.